Les Ormes, un vase engagé !


Les Ormes, coll. musées de Cognac (photo. Christian Braud)

Les Ormes

Les Ormes est un vase en cristal soufflé à deux couches, à décor gravé à la roue et morceaux de verre appliqués fabriqué à Nancy par le verrier Émile Gallé en 1899.

Il se dégage de ce vase une atmosphère funèbre, sombre, décoré d’un paysage marécageux, d’arbres nus, d’oiseaux sinistres.
La raison de ces choix d’Émile Gallé n’est pas gratuite. Les arbres représentés sont des ormes, un arbre sous lequel était jadis traditionnellement rendue la justice. Les fleurs de l’orme qui, stylisées, couvrent le haut du vase apparaissent avant les feuilles (d’où les branches nues) ; elles étaient dans l’antiquité grecque symbole de deuil et d’affliction. Le corbeau est un oiseau de malheur par tradition. Enfin les insectes sur le pied du vase (dont un seul a subsisté) sont des termites ; Gallé aurait assimilé ce parasite aux antidreyfusards, renversant ainsi un symbole à l’origine antisémite.

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L'affaire Dreyfus

En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935), israélite alsacien, fut accusé d'espionnage et condamné par un tribunal militaire à la dégradation et à la déportation dans l'île du Diable. Deux ans plus tard, il fut prouvé que le jugement était fondé sur des documents falsifiés et l'on eut de sérieuses raisons de penser qu'un officier criblé de dettes, le commandant Esterhazy (1847-1923), était le vrai coupable. Celui-ci, après un simulacre de procès, fut néanmoins acquitté. C'est alors que Clémenceau publia dans son journal, l'Aurore, un article d'Émile Zola intitulé J'accuse, qui faisait peser contre l'état-major de très lourdes charges. Il apparut de plus en plus clairement que certains militaires, cléricaux et antisémites s'efforçaient d'empêcher une révision du procès.

L'Affaire devint politique, partagea la France en deux camps (dreyfusards et antidreyfusards) et faillit ébranler la république, cependant que l'opinion internationale s'indignait de l'injustice commise. Anatole France puis Jaurès défendirent Dreyfus avec ardeur. En 1899, celui-ci fut renvoyé devant le tribunal militaire de Rennes et de nouveau déclaré coupable. Il fut amnistié la même année, mais ce n'est qu'en 1906 qu'il fut complètement réhabilité.

Le procès de Rennes, Le Petit journal, 1899

L'auteur

Émile Gallé (1846-1904) est un maître verrier qui s'est notamment illustré dans le style Art nouveau. Fils d'un peintre émailleur et d'une mère héritière d'une famille de faïencier et cristallier, il commence sa carrière dans la verrerie familiale. Il aura une carrière fructueuse et reconnue dans ce domaine.
Il est très attaché à la nature, le bois, étant lui-même ébéniste, ainsi que la nature de laquelle il s'inspire régulièrement.

Gallé est également très engagé politiquement. Originaire de Nancy, il est notamment à l’initiative de la création de la section nancéenne de la Ligue des droits de l’Homme, engagé en faveur des indépendantiste irlandais ou encore contre le génocide arménien. Il se sert régulièrement de son art pour revendiquer ses causes en incorporant à ses pièces de nombreux éléments symboliques, pas immédiatement perceptibles. Au plus fort de l’affaire Dreyfus, pour lequel il avait pris fait et cause, il réalise plusieurs verreries dreyfusardes qu’il offre à certains de ses proches, engagés comme lui dans ce combat.
C’est ce qui lui vaudra de réaliser ce vase, Les Ormes, en 1899 en réaction à la nouvelle condamnation de Dreyfus à l'issue du procès de Rennes.

Détail d'un des corbeaux (cliché Alienor.org, Conseil des musées - PE. Laurent) Détail d'un autre corbeau (cliché Alienor.org, Conseil des musées - PE. Laurent) Détail des fleurs stylisées sur le col du vase (cliché Alienor.org, Conseil des musées - PE. Laurent) Fonds du vase présentant des fleurs stylisées ainsi que l'étiquette de fabrique (cliché Alienor.org, Conseil des musées - PE. Laurent) Détail d'un des termites sur le pied du socle (cliché Alienor.org, Conseil des musées - PE. Laurent) 

La collection de verrerie du musée d'art et d'histoire de Cognac

Les musées de Cognac disposent d’une importante collection de verrerie, notamment de Gallé, Lalique, Daum ou Théodore Legras. Cette collection s’explique notamment par l’industrie verrière qui s’est développée à Cognac, en parallèle de l’économie des eaux-de-vies de cognac, avec la verrerie Claude Boucher puis Saint-Gobain. En effet, très tôt les maisons de cognac ont conditionné et vendu l’eau de vie en bouteille.

Claude Boucher qui avait noué connaissance avec Gallé, tous deux maîtres verriers, obtiendra ce vase, dont son fils James fera don au musée en 1940.

Plusieurs objets de la collection de verrerie du musées de Cognac (photo. Christian Braud)

Sources et credits

Références bibliographiques

Bertrand Tillier, « Emile Gallé et l’affaire Dreyfus : vers une mutation des arts décoratifs » in Annales de l’Est, N° Spécial, 2005

Textes

Pierre-Emmanuel Laurent, Alienor.org, Conseil des musées
Validation scientifique : Catherine Wachs-Genest, musées de Cognac

Numérisation 3D

Vincent Lagardère, Alienor.org, Conseil des musées

Photographies

Christian Braud, musées de Cognac
Pierre-Emmanuel Laurent, Alienor.org, Conseil des musées

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