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Art
Nouveau en Poitou-Charentes
1896, l’enseigne « Art Nouveau » de la galerie Samuel Bing
s’ouvre à Paris. Elle marque l’acte de naissance d’une
nouvelle esthétique radicale qui ne durera qu’une vingtaine
d’années
durant laquelle le mouvement proposera une multitude d’œuvres.
« Art Nouveau » en France, mais aussi « Jugendstil »
en Allemagne, « Sezessionstil » en Autriche, « Stile Novo
» en Italie, « Arte Joven » en Espagne, la multitude d’appellations,
auxquelles s’ajoutent les noms plus ou moins féroces de «
style coup de fouet », « style nouille », « style ténia
», montrent l’étendue du rayonnement de ce courant.
« Vers 1900, un geste magnifique : l’Art Nouveau. On secoue les nippes d’une vieille culture. » (Le Corbusier, 1929).
Outre les sobriquets, ces
différentes appellations montrent aussi combien ce courant réunit
des individualités de tous horizons sous une même idée de
rupture avec le système des Académies exprimée par les
termes de « sécession », de « jeunesse » et de
« nouveauté ». Certes les réactions de ruptures ont
été et seront plus fortes en 1789 et à la fin des différents
conflits mondiaux du 20e siècle. Cependant, les artistes de l’Art
Nouveau, suivant l'exemple des impressionnistes (et leur « Salon des Refusés
»), affirmèrent leur volonté de se défaire d’une
époque troublée (guerre Franco-Prussienne en 1870 et révolte
de la Commune en 1871).
Les influences sont donc à chercher hors du modèle gréco-romain
: le médiévisme et le naturalisme de Viollet-le-Duc sensibilisent
les architectes et les graphistes (Eugène Grasset), aux ornements du
Moyen Age flamboyant et aux motifs gothiques issus de la faune et de la flore.
Contemporains à l’Art Nouveau, le Symbolisme et les Nabis entretiennent
de nombreuses similitudes tant dans leur volonté de rompre avec le néo-classicisme
que dans leurs influences formelles empruntant tantôt au naturalisme,
à l’iconographie médiévale, tantôt aux artistes
asiatiques (notamment japonais). En effet, 1854 marque l’ouverture des
frontières du Japon. Dès lors la production artistique japonaise
se fait connaître au monde occidental. Elle apporte un sang neuf aux artistes
qui adoptent les techniques et stylisations issues des maîtres nippons.
Cette vogue, appelée « Japonisme », séduira des artistes
comme Toulouse-Lautrec, Gauguin, Degas et se retrouvera dans de nombreuses créations
d’Art Nouveau.
D'autres influences,
liées à des cultures étrangères, inspirent de manière
importante les artistes de l'Art Nouveau et les guident dans leurs recherches
esthétiques.
Ainsi Mucha, d'origine slave, adopte les ors, les bleus profonds et la surcharge
ornementale de l'art byzantin.
Gallé, attentif à l'élégance des courbes de la calligraphie
musulmane, évoque cette dernière dans la décoration d'un
coffret.
Les Symbolistes et les Nabis
s’éloignent de leurs prédécesseurs Impressionnistes
et de leurs volontés de saisir sur le vif la réalité pour
s’attacher à l’exploration du monde intérieur de l’être.
L’Art Nouveau, lui, est un mouvement fondamentalement tourné vers
des expérimentations purement plastiques recherchant l’osmose parfaite
entre la fonction et la forme. Par refus de l’élitisme académique,
la recherche rationnelle de l’Art Nouveau vise à s’étendre
à toutes les couches y compris les plus populaires. Sensible aux théories
de Léon de Laborde (directeur des Archives de France de 1857 à
1868), l’Art Nouveau fait sien les principes visant à éduquer
le peuple à l’Art : les artistes doivent travailler à l’embellissement
de la rue. Pour ce faire, les arts, les sciences et la technologie industrielle
doivent coexister, l’Art Nouveau se veut le chantre des effets bénéfiques
de la modernité et n’hésite pas, par exemple, à recourir
à l’usage du fer et de la céramique dans l’architecture
et la décoration.
Pourtant, certains artistes, sensibles aux théories de John Ruskin concernant
les effets du machinisme sur les populations ouvrières, décident
de préférer s’associer aux artisans. Ils approfondissent
ainsi leurs techniques dans de très nombreux domaines issus des arts
dits "mineurs". Les Symbolistes travaillent la peinture, la sculpture,
la musique, la littérature tandis que ceux de l’Art Nouveau s’illustrent
dans l’architecture, la décoration d’intérieur, le
mobilier, l’orfèvrerie, la verrerie, l’affiche, la céramique…
En effet, la technique de la céramique, en permettant la production d'exemplaires
multiples d'un même modèle, entraînait un coût plus
abordable pour le grand public. Considérablement popularisée grâce
au développement des imprimeries mécanisées, l’affiche,
quelque soit l'article vanté, offrait la rue comme la meilleure des galeries
populaires pour les artistes.
Néanmoins, il faut convenir que la réalisation d'uvres uniques
que l’on retrouve tant dans l’architecture que dans l’orfèvrerie,
la verrerie et le mobilier révèlent certaines contradictions des
créateurs de l’Art Nouveau tiraillés entre « l’art
pour tous » et la production de pièces rares comme témoins
du degré d’excellence de leur art fait d’ornementations savantes.
Bien que l’Art Nouveau se soit illustré dans de multiples pays,
son rayonnement national est resté relativement modeste. On note des
réalisations architecturales d’envergure dans les métropoles
Paris, Lyon ainsi que le développement d’une école axée
sur le mobilier et le verre : l'École de Nancy.
En comparaison, le Poitou-Charentes
reste en retrait en terme de « centre de production ». Si les musées
de la région possèdent un certain nombre de pièces Art
Nouveau, ils le doivent à la spécificité de certaines collections.
Ainsi, le musée Sully
de Châtellerault, abrite les collections du cabaret « Le Chat Noir
» de Montmartre dirigé par Rodolphe Salis un natif de Châtellerault.
Le cabaret proposait entre autres un spectacle de théâtre d’ombres
– dans la tradition du japonisme – qui était l’œuvre
d’Henri Rivière.
Le cabaret « Le Chat Noir » est un lieu où se côtoient
artistes, décorateurs, musiciens, écrivains, chanteurs, acteurs
dans un cadre associant création artistique et vie sociale : il en résulte
une illustration de « Art dans tout » (du nom d'une galerie parisienne),
de la réunion de l’art et de la vie quotidienne chère aux
artistes du mouvement.
Outre les pièces du théâtre d’ombres, le musée
conserve des imprimés Art Nouveau de Georges Auriol et plusieurs affiches
signées Théophile Alexandre Steinlen.
On notera aussi l’existence dans la ville de maisons de ce style.
Dans les Deux-Sèvres,
à Parthenay, Henri Amirault et Prosper Jouneau fondent une faïencerie
en 1882. Édouard Knoëpflin remplace Prosper Jouneau en 1902 et durant
cinq ans il crée des pièces de style Henri II et s’illustre
dans la création de céramiques Art Nouveau de tendances très
diverses, allant de la forme naturaliste japonisante à l’abstraction
de décors flammés.
Georges Lasseron réalise de nombreux édifices pour la ville de
Niort en tant qu’architecte municipal. La plupart des bâtiments
illustrent un style classique et répondent à la commande officielle.
Cependant, certaines constructions adoptent un style Art Nouveau où la
céramique colorée intègre des façades aux baies
présentant des lignes courbes.
À Angoulême,
le musée du papier occupe les locaux d'une ancienne papeterie spécialisée
dans la fabrication du papier à cigarettes. Les collections sont notamment
composées de supports publicitaires de la fin du 19e et du 20e siècle.
Dans ce passage du siècle à l'autre les graphistes de l'Art Nouveau
se sont exprimés: affiches, cartes postales, calendriers...
En accompagnant la montée en puissance du machinisme, les graphistes,
typographes et dessinateurs marquent de leurs empreintes l’époque
et figurent parmi les meilleurs créateurs Art Nouveau désireux
de réunir l’art et la rue.
De par sa forte activité
industrielle autour du célèbre spiritueux, Cognac possède
la plus importante collection de ce style en Poitou-Charentes. Deux facteurs
permettent d’expliquer l’ampleur de la collection :
- L’existence d'une classe sociale aisée, celle des négociants,
familiarisée aux modes. Une bonne partie de la collection de verre d’Émile
Gallé fut achetée par Claude Boucher, verrier et inventeur d’une
machine à fabriquer les bouteilles. Ce dernier fréquentait régulièrement
les expositions universelles et c’est au cours de celle de 1900 qu’il
fit la connaissance du maître verrier de Nancy et qu’ils se lièrent
d’amitié.
- Les aspects commerciaux
liés à la diffusion de la liqueur (affiches publicitaires, étiquettes).
« Heureusement, l’amour de la fleur régnait dans ma famille : c’était une passion héréditaire. Ce fut le salut. » Émile Gallé
L’observation et l’imitation de la nature sont présentes dans l’Art Nouveau, lui fournissant sa principale source d’inspiration. La représentation peut rester fidèle afin d’illustrer la grâce, la délicatesse du modèle et la virtuosité de sa figuration. Le plus souvent la stylisation des formes est un prétexte pour permettre des audaces formelles faites de lignes ondulantes qui synthétisent une nature idéalisée.
a- La flore
A la manière d'un
botaniste, l'artiste analyse les détails de la nature, lui faisant subir
par la suite des métamorphoses. Les tiges et les feuilles se mêlent
et s’entremêlent en de savantes arabesques.
Les artistes sensibles aux théories de Viollet-le-Duc, se réapproprient
l’ornementation du gothique flamboyant fait de végétation
constituée de feuilles de marronniers, de guis, de chardons, de vignes
ou de ronces.
La découverte de l’art japonais à l’Exposition Universelle
de Paris en 1867, enrichit l’« herbier » des artistes Art
Nouveau de plantes tels que l’iris pour la forme très découpée
de sa fleur et la ligne élancée de sa feuille, le bleuet ou la
violette (pour leurs couleurs), le nénuphar ou le bambou.
Émile Gallé, l’un des fondateurs de l’Art Nouveau
en France - avec l’école de Nancy - se passionne dès son
plus jeune âge pour la botanique et installe un jardin dans son atelier
pour que ses employés puissent s’y référer. Dans
un style très japonisant, la flore se déploie avec élégance
pour célébrer la vitalité et la grâce féminine
de la nature. Rapidement, l’épure du décor hérité
des maîtres nippons fait place à un décor parfois proche
de l’abstraction. Émile Gallé multiplie les couches de verres
différentes pour produire des jeux de transparences et de reflets.
b- La faune
Dans la célébration
de la nature, la faune côtoie très fréquemment la flore.
Les animaux traditionnels, comme le chien, le buf ou le cheval, sont délibérément
ignorés, l’Art Nouveau propose un véritable bestiaire aux
multiples influences et significations.
Là encore, l’art japonais a fortement marqué les esprits.
L’Art Nouveau réutilise très souvent les mêmes types
d’animaux ainsi que leurs stylisations, même si la forte symbolisation
chez les asiatiques n’est plus ici de mise (le papillon de nuit n’est
plus l’âme des défunts, la carpe, le symbole des forces vitales…).
Le papillon, la libellule aux ailes diaphanes, le paon, le cygne soulignent
la délicatesse et la préciosité du travail.
Dans leur capacité à enflammer l’imagination, le mystère,
le fantastique, le malin et la nuit, thèmes très en vogue chez
les Symbolistes, sont aussi présents dans l’Art Nouveau figurés
par le chat (noir), la chauve-souris, l’araignée...
Enfin, réminiscence du bestiaire médiéval ou simple goût
pour l’exotisme, on retrouve parfois des animaux extra européens
comme le singe, le perroquet...
c- La figuration féminine
Là où le Symbolisme
traitait de la femme sous de multiples aspects y compris négatifs et
inquiétants (prostituées, vampires...), l'Art Nouveau s'est attaché
à une représentation féminine personnifiant la nature,
sa vitalité, sa beauté et sa douceur. Très souvent associée
à des motifs floraux, elle est présente dans tous les domaines
: orfèvrerie, verrerie, céramique, mobilier, sur les décors
de bâtiment et bien entendu sur les affiches.
Si la publicité utilise très fréquemment la figure féminine
pour vanter les mérites d'un produit quelqu'il soit, la représentation
de la femme dépasse le cadre mercantile et incarne des valeurs esthétiques:
souplesse, fluidité, grâce, beauté, mouvement.
Il n’est pas alors rare de la trouver vêtue de voiles ou de robes
comportant de nombreux plis. Son regard mystérieux ou souriant la révèle
séduisante et libre sans pour autant être provocante.
L’une des personnalités les plus populaires de l’Art Nouveau
fut le dessinateur Alphons Mucha. Il doit sa notoriété à
l’actrice Sarah Bernhardt qui après lui avoir confié la
réalisation de l’affiche de sa pièce « Gismonda »,
en 1894 lui fit signer un contrat pour six ans. Auparavant, l’artiste
put montrer ses qualités de dessinateur, même si son style, aisément
identifiable, n’était pas encore totalement parvenu à maturité.
Ainsi, dans un calendrier de 1894, l’artiste met déjà en
place des portraits de personnages en pied (la famille Lorilleux) dans un décor
extrêmement chargé de multiples motifs stylisés, parfois
orientalisant. Néanmoins l’exécution montre qu’il
n’a pas totalement rompu avec le modèle gréco-romain (traitement
réaliste et classique des portraits, présence de paysages en arrière-plan
héritée de la Renaissance). Sa collaboration avec l’actrice
lui apporte une très grande notoriété et toutes les entreprises
souhaitent l’employer : il illustre affiches et calendriers pour des parfums,
des produits alimentaires, des papiers à cigarette… Dans ces réalisations,
Mucha décline son idéal féminin : gracieuse et consciente
de son pouvoir de séduction, la femme est souvent portraiturée
en pied. Son abondante chevelure est stylisée en volutes qui accompagnent
et soulignent la pose du modèle. Les qualités esthétiques
de Mucha seront telles qu'elles inspireront d'autres graphistes qui l'imiteront.
De toutes les expressions
de l’Art Nouveau, la forme « naturaliste », caractérisée
par ses lignes courbes, l’asymétrie de ses compositions et son
iconographie empruntant à la faune et à la flore, fut la plus
marquée. Ces propositions esthétiques s'affichent dans les rues
et sur les façades des bâtiments publics et privés qui présentent
des baies aux lignes adoucies et souples ainsi que l’emploi de matériaux
comme le fer forgé et la céramique.
Les gammes de couleurs sont extrêmement variées : le vert bien
sûr (et toutes ses variantes de jaune et de brun) ainsi que des couleurs
franches, vives ou précieuses comme le rouge, l’or. Mais les artistes
de l’Art Nouveau utilisent aussi les tons prisés par les Symbolistes
tel que les blancs ivoire ou laiteux, le violet, le mauve, le gris-rose...
Le japonisme marqua considérablement les artistes de l’Art Nouveau.
a- Les dessinateurs
Les aplats denses (de noir,
de rouge…) obtenus dans la xylographie asiatique marquent les artistes
occidentaux, la stylisation des formes se traduit par des masses colorées
sans effets de modelés. Parfois le dessin souligne les contours de façon
très appuyée, à la manière d’un cloisonnement.
Certains formats très allongés « en colonne » sont
couramment utilisés dans l’estampe japonaise pour les rouleaux
intitulés « kakemono ». Ils seront repris et souvent utilisés
dans des affiches présentant des portraits en pied. Le format permet
ainsi d’affirmer la frontalité de la représentation en limitant
l’arrière plan à des jeux de motifs saturant tout l’espace
disponible. Mais « l’horreur du vide » n’est plus forcément
de mise. Au contraire, nombreuses sont les compositions - dans l’illustration
mais aussi dans la céramique et la verrerie - qui réservent
des « espaces de respiration » pour mieux mettre en valeur les éléments
de décors et leur déploiement dans l’espace.
La composition des illustrations subit, elle aussi, l’influence japonaise
par des jeux de groupement de différents formats, appelés « rivalité
des images encadrées » (kibori gakuawase sanzu) : un cercle
ou un rectangle s’intègre dans le cadre rectangulaire de la page.
Ainsi plusieurs programmes de natures différentes (motifs, figuration...)
peuvent se superposer. Le but n’est pas uniquement esthétique,
il permet de focaliser le regard (surtout dans la forme circulaire).
b- Les céramistes
et les verriers
Outre les thèmes
naturalistes et les formes souples et organiques, largement observés
dans les créations japonaises, les créateurs français adoptèrent
aussi les formes usuelles des vases, coupes et tasses à thé.
Sur la stylisation des décors, on retrouve parfois, comme sur les vases
précoces de Gallé, des recherches formelles très épurées
où la ligne végétale opaque se détache d’un
fond translucide.
Mouvement artistique fondamentalement
esthétique, l’Art Nouveau ne se distingue pas uniquement par le
foisonnement de lignes courbes, ou « coup de fouet ». En effet de
nombreuses recherches formelles furent initiées par ces artistes notamment
dans le domaine de la céramique.
Radicalement différent de la forme « naturaliste », il existe
une céramique, appelée par certains auteurs « céramique
de la réaction », dont le décor abstrait est très
souvent réalisé de manière flammée, par coulures
d’émaux de différentes couleurs (rouge sang de buf,
violet, vert, jaune, or, blanc…). Les effets recherchés sont multiples
: irisations, craquelures, boursouflures. Si certaines techniques, notamment
celle conduisant à l’obtention de la couleur « sang de buf
», sont liées à la Chine et au Japon, la « céramique
de la réaction » se détache de l'orientalisme qui a trop
imprégné les réalisations naturalistes. Elle marque une
nouvelle rupture et l'épuisement de l'Art Nouveau dans sa forme la plus
couramment développée.